Groupe d’Etudes et de Recherches
Migrations, Espaces et Sociétés
Les liens existants entre migration et religion mettent en avant la dimension spatiale du religieux et l’approche transnationale de la migration. La présence d’immigrés dans un espace donné produit une « offre religieuse » différente de celle déjà existante. Ainsi, les migrations favorisent des possibilités d’émergence d’un « marché religieux renouvelé » où plusieurs mouvances se confrontent (S. Bava et S. Capone, 2010).
En contexte migratoire, l'adaptation au changement implique parfois une reconstruction identitaire qui se traduit par un ajustement des comportements, des pratiques cultuelles et culturelle et des habitudes, qui permettront une meilleure intégration à la société d'accueil. La migration des personnes favorise donc un brassage d’identité entre les populations en contact. Pendant longtemps, l'Afrique de l'Ouest est un espace de contacts et d'échanges socio-culturels entre éleveurs nomades du nord et agriculteurs sédentaires du sud (D. Ouédraogo, 2002). Ce contact entre ces peuples a progressivement fait reculer l'animisme originel au profit de deux nouvelles visions du monde qui ont entraîné la constitution de deux communautés plus ou moins distinctes à cause de plusieurs autres traits culturels visibles (habillement, interdits alimentaires) ou rendus comme tels sur l'espace public. Dans le sud, agriculteurs de la région forestière se sont convertis en chrétiens parce que le Christianisme a été introduit à travers la côte de l'océan atlantique à partir du XVIème à la faveur du grand commerce maritime et surtout de la colonisation remontant vers le nord et à l’intérieur des terres. Dans la partie nord, éleveurs et agriculteurs de la savane sont devenus musulmans parce que l'Islam est venu de l'Afrique du nord à travers le Sahara dès le Xème siècle et s'est propagé vers le sud sur les routes des échanges commerciaux (sel, noix de cola, or, cotonnades). Ceci dit, depuis longtemps, la migration (entrées comme sorties) au-delà des traditions locales est aussi un facteur important dans la construction identitaire des individus.
Depuis les années 1990, Le Niger est le terrain de renouveau islamique, une restructuration de l’islam autour de nouveaux acteurs religieux s’emparant des médias pour proposer des réponses à la crise économique et politique que vivent le Niger et le Nigéria (Souley H., 2004, cité par Bava S., 2005). Ainsi, la religion musulmane joue un rôle significatif dans l’espace public nigériens, elle peut-être non seulement conservatrice, fédératrice, voire créatrice d’une identité pour les migrants. 2
Le Niger dans sa globalité, et particulièrement la ville Niamey, est un espace qui accueille des étrangers (travailleurs, visiteurs et étudiants) venant notamment du Nigéria, du Burkina Faso, du Mali, du Sénégal, du Tchad, du Bénin, du Togo, du Ghana, de la Côte d’Ivoire, pour ne citer que ces pays, les plus représentatifs. Pourtant, l’intégration et les enjeux identitaires des immigrés au Niger ne fait pas l’objet d’analyse approfondie. Disposant d’une culture basée majoritairement sur l’islam, la construction identitaire d'immigrants chrétiens à Niamey devient complexe, étant donné la double appartenance culturelle (celle de la société d'accueil, ainsi que celle d’origine). En effet, Sur le plan religieux, le Niger est un pays fortement islamisé. D'après le ministère de l’Intérieur, les musulmans représentent plus de 98 % de la population, dont la majorité est sunnite tandis que moins de 1 % chiite. Les catholiques, protestants et autres confessions représentent donc moins de 2 % de la population (United States Department of State, 2019). Les adeptes de la religion chrétienne se comptent parmi les croyants locaux issus des familles coloniales et des émigrés des pays côtiers voisins, notamment le Bénin, le Togo et le Ghana. En effet, les sources historiques révèlent que parmi les raisons de la mission au Niger figure le fait que le pays abritait des fonctionnaires chrétiens venant du Dahomey (actuel Bénin), (Y. Bergeron, 2006). L’évangélisation au Niger s’est faite par des étrangers, pour des étrangers, avant d’atteindre la population autochtone.
En plus, la maturité et la qualification juridique de l’église catholique et son patrimoine au Niger est remise en cause, d’autant plus que : « malgré l’érection de la hiérarchie épiscopale locale, cette église particulière figure parmi les églises les plus pauvres et dépendantes » (W. J. Agbanglanon, 2020, p.1). Cet auteur rend plus explicite ses propos en notifiant des défis majeurs de l’église du Niger. Il s’agit en effet d’une autosuffisance propre en ressources humaines (prêtes, religieux(ses), catéchistes laïcs formés et engagés, ses propres formateurs…), et le problème de l’autofinancement. La survie de l’église du Niger à l’instar des églises d’Afrique, reste financièrement dépendante de l’aide extérieure, notamment des églises d’occident et des organismes de financement. Or, l’autonomie des moyens est un élément parmi tant d’autres qui traduisent le caractère adulte d’une église. Dans de telles circonstances, comment se définie l’identité des chrétiens catholiques dans un milieu où l’islam a tant influencé et modelé l’histoire et la culture.
Questions de recherche
- Question principale : Qu’est-ce qu’être immigrant catholique à Niamey un espace fortement islamisé ? Autrement dit, comment se définissent les immigrants chrétiens catholiques à Niamey ?
De cette question principale émanent les questions subsidiaires suivantes :
- Comment les immigrants catholiques présents à Niamey construisent-ils leur identité ?
- Quelles sont les stratégies d’adaptations mises en oeuvre par les immigrants catholiques pour s'intégrer dans cette société de destination ? Quelles difficultés d’adaptations ?
- Quelles sont les formes d’influences sur l’identité religieuse des immigrants catholiques de la communauté urbaine de Niamey ?
Les hypothèses de recherche 3
Hypothèse principale : L’intégration des immigrants à Niamey passe par un brassage continuel d’identités religieuses, ce qui peut être source de maintien, de construction et/ou de reconstruction d’identité religieuse pour les migrants ;
Hypothèses secondaires
- Le repli sur la communauté catholique et la motivation personnelle de conserver l'identité de départ sont des stratégies de sauvegarde de l’identité originelle des immigrants catholiques à Niamey.
- Les migrants catholiques apportent avec eux leurs pratiques religieuses et cultuelles qui favorisent leur identification et leur permettent de s’affirmer à Niamey, leur société d’accueil.
- La prédominance de l’islam comme religion de prédilection de la population de Niamey, les situations socio-économiques, juridiques et politiques dans lesquelles les immigrés catholiques s’insèrent, sont autant de formes d’influence sur l’identité religieuse du migrant catholique.
Objectifs de la recherche
Objectif général
Comprendre la construction identitaire des immigrants catholiques présents à Niamey, à travers leurs mécanismes d’intégration sociale.
Objectifs spécifiques
- Analyser les pratiques religieuses des immigrants catholiques présents à Niamey.
- Etudier les mécanismes d’intégration des immigrants chrétiens catholiques dans la ville de Niamey
- Cerner/Expliquer les formes d’influences de la migration de chrétiens catholiques vers Niamey
2. Méthodologie de recherche
Cette étude aborde les enjeux identitaires des catholiques à Niamey, tout en se proposant d’analyser les mécanismes d’insertion et les formes d’influence qui peuvent s’ensuivre. Cela aidera à une compréhension du rapport entre territoire et processus identitaire. Pour y parvenir, la méthode qualitative a été privilégiée pour le recueil des données. Il s’agit précisément d’entretiens semi-directifs réalisés auprès de la communauté catholique et musulmane, de leaders religieux, d’acteurs institutionnels, en plus des observations et études de cas. Les enquêtes portent sur des échantillons réduits dans la commune urbaine de Niamey. Ainsi, une technique non probabiliste est privilégiée, précisément celle de l’échantillon typique ou « par choix raisonné » ou « intentionnel », qui consiste à sélectionner les personnes les plus censées disposer d’informations sur le phénomène étudié. Cette technique est combinée à la technique « boule de neige » pour identifier certains informateurs.
Suite aux données préliminaires obtenues et analyseées, l’étude met en évidence que la communauté catholique de Niamey est en grande partie constituée d’étrangers, notamment de migrants venus des pays de l’Afrique de l’Ouest. Tout comme les catholiques autochtones, ceux-ci affichent une double une identité, à cause d’une prise en compte de la culture musulmane dans leurs interactions socio-professionnelles, et leurs pratiques cultuelles et culturelles. Et cela fait qu’ils sont confrontés à un défi de représentation identitaire. En effet, 4
compte tenu de la prédominance de l’islam dans l’espace, la culture du milieu y dépend largement et à divers niveaux. Ainsi, la communauté catholique de Niamey présente une identité socio-culturelle empruntée à la culture musulmane du milieu, qui les rends plus ou moins semblables à la population hôte. Il s’agit notamment d’une certaine influence dans leurs attitudes vestimentaires, verbales, culturelles et surtout leur bienveillance vis-à-vis de cette culture, sans que cela n’en tâche forcément la pratique de leur religion catholique.
En effet, bien que la maturité et la qualification juridique de l’église catholique et son patrimoine au Niger sont remises en cause, l’église offre néanmoins un cadre d’exécution de cultes à ses fidèles. A travers la cathédrale par exemple, où une messe est célébrée au moins une fois chaque jour de la semaine. En dehors de la cathédrale, on retrouve une paroisse ou casi-paroisses fonctionnelles dans presque tous les arrondissements communaux de la ville de Niamey. Cela leur permet d’entretenir leur identité religieuse tout en prenant part aux messes et autres activités de que mène l’église.
Toutefois, il serait judicieux de notifier les cas de conversion présentes. En effet, malgré la forte prédominance et la vivacité de l’islam dans la vie quotidienne de Niamey, on dénote de cas de conversion de membre de la communauté musulmans vers le christianisme. Il en est de même du côté de la communauté catholique. Bien que l’église offre un cadre cultuel à ses fidèles, elle est confrontée au problème d’apostasie. Certains de ces fidèles renient leur foi au profil de l’islam.
Références bibliographiques
Agbanglanon Wilfried Jérôme (2020). Les critères de maturation d’une jeune église : application du canon 786 à l’Eglise du Niger, Mémoire de Licence en droit canonique, Lyon, 92 pages ;
Bava Sophie (2005). « Reprendre la route » : les relais mourides des migrants sénégalais au Niger », in : Entreprises religieuses transnationales en Afrique de l’Ouest, Collection Hommes et Sociétés, Ifra-Ibadan, Karthala, pp73-88 ;
Bava Sophie et Capone Stefania (2010). « Religions transnationales et migrations : Regards croisés sur un champ en mouvement », in : Autrepart, (56), pp. 3-16 ;
Bergeron Yves (2006). Petite histoire des Missionnaires SMA au Bénin-Niger, Cotonou, 58 pages ;
Binaté Issouf (2016). La réforme contemporaine des médersas en Côte d’Ivoire, Autrepart (80), 22 pages ;
Marté Maskens, (2008). « Migration et pentecôtisme à Bruxelles Expériences croisées », in : Archives de Sciences Sociales des Religion n°143, pp.49-68 ;
Mary André (2005). « Introduction », in Fourchard Laurent, Mary André et Otayek René (dir), Entreprises religieuses transnationales en Afrique de l’Ouest, Collection Hommes et Sociétés, Ifra-Ibadan, Karthala, pp 31-37 ;
Ouédraogo, D. (2002). « Migrations circulaires et enjeux identitaires en Afrique de l'Ouest ». Les Cahiers du Gres, 3 (1), pp 7-23 ;
Picard Julie (2016). « (Re) penser la géographie des migrations au prisme du religieux », in Information géographique, n°1, pp 54-75 ; 5
Sidi Hida Bouchra, (2018). « Préface », in : Bava Sophie (dir), Dieu, les migrants et l’Afrique, Collection Les mobilités africaines, Paris, L’Harmattan, pp 11-16 ;
Timera Mahamet (1995). « Identité, langue et religion dans l'immigration soninké en France », in : journal des anthropologues, 59, Les territoires de l’altérité, pp 73-76 ;
United States Department of State (2019). Rapport 2019 Sur La Liberté De Religion Dans Le Monde – Niger, Office of International Religious Freedom, 7 pages ;
Article publié
Seyni Saoudatou (2022). « Pratiques migratoires des femmes de la commune de Loga, région de Dosso (Niger) et représentations populaires », in : Rosa María Verdugo Mates et Rubén Camilo Lois Gonzalez, Etudes territoriales, sociales et économiques en Afrique de l'ouest, Université de Santiago de Compostela, Grupo de Análise Territorial (ANTE) GI-1871, pp. 55-62.
Projet de Thèse
Doctorante : Saoudatou SEYNI
Intitulé du sujet : Etudes sur les enjeux identitaires des immigrants catholiques à Niamey (Niger)
1. Contexte de l’étude
Le croisement entre champs religieux et migration conduit à : « de nouvelles voies et des problématiques nouvelles en sciences sociales » (B. Sidi Hida, 2018, p.11). De plus en plus, des études (A. Mary et L. Fourchard, 2005 ; M. Marté, 2008 ; M. Timera, 1995 ; I. Binaté, 2016 …) démontrent les interactions qui peuvent exister entre migration et religion. En effet, les interférences entre mouvements migratoires et religions se situent à divers niveaux dont : l’implantation et la visibilité de religions dans un espace donné, l’insertion socio-professionnelle du migrant dans son milieu d’accueil, les enjeux identitaires de migrants etc.
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